Je m’accroche… mais pourquoi?

Vous êtes nombreux.ses à me dire de ne pas trop culpabiliser.

Que ce sont les vacances et que c’est le moment de relâcher la pression.

Je n’y arrive pas.

Je me dis que si je relâche pendant les vacances, je ne reprendrai pas.

Je me dis aussi qu’il n’y a pas vraiment de vacances.

Que les jours de vacances sont finalement identiques aux autres jours.

Je me rattache peut-être à l’école à la maison pour ne pas sombrer, comme à un tronc qui flotte au milieu du fleuve déchaîné qui me conduit tout droit vers une cascade vertigineuse.

J’ai l’impression qui se je lâche l’école à la maison, je lâche tout et me laisse dériver dans les jours qui passent, identiques.

C’est comment chez vous ?

Comment gérez-vous le temps et le quotidien.

Je vois fleurir de toutes parts des exemples merveilleux de confinement réussi, de moments partagés en famille, de création.

Ce n’est pas l’impression que j’ai. Les disputes se répètent, les moments conviviaux en famille se font rares, chacun s’isole dans son monde. C’est étrange. Je n’ai plus la main sur le travail des enfants. Ils vivent leur vie, nous nous croisons parfois. Nous sommes tous là, mais sur des rythmes différents.

Impression de temps qui flotte, de famille qui flotte, de tout qui flotte.

Hier midi, nous avons réussi à faire 1h de ménage tous ensemble. La maison est rangée et agréable. C’est déjà ça.

Et puis hier soir, moment magique. Nous avons partagé des coquillages, des crevettes, ma fille de CP a organisé l’apéro, nous avons écouté de la musique, même dansé.

Et puis chacun est reparti dans son monde.

Les ados se décalent de plus en plus tard dans la nuit.

Je m’accroche donc à faire lire et à faire calculer ma fille de CP.

—           Quand je pense aux profs qui nous disaient : « Le troisième trimestre va être compact et dense, il va falloir vous donner ! » dit notre fils de 13 ans, hilare, assis sur la balançoire. Bam ! Adieu la 5è ! Adieu la prof principale !

Je le regarde.

Je sais qu’il n’aime pas l’école. Même qu’il déteste ça. Que c’est tellement insupportable pour lui d’être en cours et d’écouter un Prof qu’il en est insolent et sans cesse puni. Qu’il ne peut pas faire ses devoirs, c’est plus fort que lui.

Je sais que moi aussi je détestais l’école. Que jamais je ne me suis autant ennuyé qu’en cours.

(je pense surtout que je m’ennuie dès que l’organisation de ma vie m’échappe)

Mais là où je ne sais plus, c’est qu’il s’en fiche, qu’il a l’air d’assumer. Peut-être n’est-ce qu’une apparence. Mais il ne travaille pas et affirme :

—           Non, je ne le fais pas.

—           Tu vas avoir un zéro.

—           Tant pis.

—           Tu vas être puni et collé.

—           Je m’en fiche.

—           Qu’est-ce que tu vas devenir ?

—           Je m’en fous.

Je suis démuni.

Pourquoi ? Parce que si je n’aimais pas l’école, je travaillais et j’écoutais sagement les cours. J’étais sous l’emprise d’une force culpabilisante supérieure, probablement la pression de mon père.

Parce que je savais que l’école était la voie pour apprendre un métier, même si je n’avais aucune idée du métier qui me plairait.

Parce que faire mes devoirs, apprendre, suivre les cours était la seule voie possible et qu’il était vain de se révolter contre ça.

Même si j’avais une secrète admiration pour mes camarades qui se rebellaient et ne travaillaient pas.

Devant mon fils de 13 ans, je suis démuni.

Aucun des leviers qui fonctionnaient sur moi n’a le moindre effet sur lui.

Je me retrouve à brandir des principes que je haïssais quand j’étais ado.

Je me surprends à défendre un système que je détestais.

—           Tu détestais les devoirs et tu les faisais quand même ? C’est ton problème ! me lance mon fils.

Sous-entendu, ce n’est pas le mien.

Je ne veux pas le faire, je ne le fais pas.

—           Mais si tu crois qu’on fait ce qu’on veut !

—           Fais comme tu veux toi, moi je fais ce que je veux.

Je me surprends à les fliquer comme me fliquait mon père. Et à faire ce que je détestais le plus dans mon père.

Je m’aperçois que si je défends ce système, c’est que je n’en imagine pas d’autres. Que je n’ai pas le courage d’aller au bout de mes réflexions d’ado, que je n’ai plus de force ni d’énergie.

Comme si ce système que je subis depuis 50 ans m’avait totalement vidé de mon énergie vitale.

Et que face à mes enfants vivants et combatifs, je n’avais rien d’autre à proposer que ce qui m’a usé et qui a failli me tuer.

Et qu’en plus je m’y accroche pour ne pas sombrer plus.

Je m’accroche à faire lire et calculer ma fille tous les jours, je m’accroche à publier un article de ce blog tous les jours, à publier un article de mon roman NOIR tous les jours.

Pourquoi je ne regarde pas des films toute la journée ?

Pourquoi je ne reste pas dans le jardin toute la journée ?

Parfois, j’ai l’impression que tant que je n’aurais pas complètement lâché, rien de neuf ne pourra émerger. Comme pour notre système néo-libéral qui ruine toutes nos chances de survie. J’y participe activement, tout en le dénonçant. J’y contribue parce que je n’ai pas la force ni le courage de chercher un autre moyen de fonctionner.

Je pense qu’il est temps que je retourne travailler dans la vraie vie et que je lâche la grappe à mes ados !

Je pense qu’il est temps de retourner travailler dans a vraie vie, même si j’ai le sentiment amer de démissionner, de rentrer dans le rang, de baisser la tête, de trahir la cause.

Il est temps de retourner dans la vraie vie parce que toutes ces questions ne mènent à rien.

Même si j’ai l’impression qu’une nouvelle fois l’action l’emporte sur la réflexion, cette action qui nous mène droit dans le mur.

Je termine par le texte que nous a envoyé ma sœur il y a deux jours et que je trouve très beau :

« A la fin de tout cela, la santé mentale de nos enfants sera plus importante que leurs compétences académiques. »

Une maitresse de grande section d’une école située dans une commune près de Caen a envoyé hier un mail aux parents des élèves qui se trouvent dans sa classe avec ce contenu :

« Chers parents avec des enfants d’âge scolaire
Vous pourriez être enclin à créer un horaire minute par minute pour vos enfants.
Vous avez de grands espoirs d’heures d’apprentissage, y compris des activités en ligne, des expériences scientifiques et des rapports de livres. Vous limitez la technologie jusqu’à ce que tout soit fait!

Mais voici le truc …
Nos enfants ont aussi peur que nous en ce moment.
Nos enfants peuvent non seulement entendre tout ce qui se passe autour d’eux, mais ils ressentent notre tension et notre anxiété constantes. Ils n’ont jamais rien vécu de tel auparavant.
Bien que l’idée de ne pas aller à l’école pendant 4 semaines semble géniale, ils imaginent probablement un moment amusant comme les vacances d’été, pas la réalité d’être pris au piège à la maison et de ne pas voir leurs amis.

Au cours des prochaines semaines, vous constaterez une augmentation des problèmes de comportement avec vos enfants. Que ce soit l’anxiété, la colère ou la protestation qu’ils ne peuvent pas faire les choses normalement – cela arrivera.
Vous verrez plus de crises, de crises de colère et de comportements d’opposition dans les semaines à venir. Ceci est normal et attendu dans ces circonstances.

Ce dont les enfants ont besoin en ce moment, c’est de se sentir réconfortés et aimés. Sentir que tout ira bien.
Et cela pourrait signifier que vous déchirez votre emploi du temps parfait et aimez un peu plus vos enfants.
Préparez des biscuits et peignez des images. Jouez à des jeux de société et regardez des films.
Faites une expérience scientifique ensemble…
Commencez un livre et lisez ensemble en famille.
Blottissez-vous sous des couvertures chaudes et ne faites rien.

Ne vous inquiétez pas qu’ils régressent à l’école.
Chaque enfant est dans ce bateau et tout ira bien.
Lorsque nous serons de retour en classe, nous corrigerons tous les cours et les rencontrerons là où ils se trouvent.
Les enseignants sont des experts en la matière!
Ne choisissez pas de bagarres avec vos enfants parce qu’ils ne veulent pas faire de mathématiques.
Ne criez pas à vos enfants de ne pas suivre le programme.
N’imposez pas 2 heures de temps d’apprentissage s’ils y résistent.

Si je peux vous laisser une chose, c’est ceci: à la fin de tout cela, la santé mentale de nos enfants sera plus importante que leurs compétences académiques.
Et ce qu’ils ont ressenti pendant cette période restera avec eux longtemps après que le souvenir de ce qu’ils ont fait au cours de ces 4 semaines a disparu depuis longtemps.
Gardez cela à l’esprit, chaque jour.

Restez en sécurité. »

Matthieu Deshayes

Passionné de cinéma et de littérature, j'écris des histoires depuis toujours. Après 30 années de médecine, j'ai décidé de valoriser cette activité d'écriture et de la pousser plus loin en écrivant des scénarios et en réalisant des courts métrages. L'écriture est l'occasion de partager les thèmes et les idées qui comptent pour moi : la famille, les amis, les relations humaines, la nature et les thèmes qui les accompagnent : les relations parents/enfant, les relations frères/sœurs, les secrets de famille, les positionnements parfois douloureux, les choix impossibles, la défense de notre environnement. Le cinéma est la possibilité fantastique de traduire mes histoires en images, une aventure humaine exigeante et passionnante à travers le travail d'équipe, la rencontre de nombreux métiers différents et complémentaires tous unis dans le but de faire exister un film.

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