Le vent se lève

Le vent se lève.

Marine marche d’un pas soutenu, insensible au froid.

Insensible aux arbres autour d’elle.

Insensible aux feuilles mortes qui encombrent le chemin.

Perdue dans ses pensées, préoccupée, tourmentée.

Une affaire qui se complique et qui est en train de mal tourner.

Ce n’est pas son habitude.

D’ordinaire, elle y voit clair.

Il lui manque un élément.

Et elle se bute à un obstacle invisible.

Le vent forcit en brusques bourrasques et les branches nues des arbres s’agitent au-dessus d’elle.

Le vent.

Marine s’immobilise.

Elle se rappelle que, petite fille, elle parlait aux arbres. Qui lui répondaient par le chuchotement du vent dans les feuilles. Elle écoutait alors les paroles soufflées et y trouvait toujours un éclaircissement.

Elle se laisse tomber sur une souche et contemple le mouvement ample des ramures.

—      J’ai besoin d’un coup de main, murmure-t-elle.

Le ciel est bas et gris.

Il va pleuvoir.

—      Comment je me sors de là ?

Elle ferme les yeux.

Et elle écoute.

Elle perçoit la tension qui secoue son corps.

Elle inspire lentement.

Parvient presque à se détendre.

Apaisée par la tempête.

L’aboiement d’un chien tout proche la tire brutalement de sa torpeur.

Marine se lève précipitamment et manque de tomber.

Le cœur battant, la respiration courte, la vue brouillée.

La peur.

Elle avait oublié la peur.

Qui ouvre grand son manteau, tel un rideau de scène, et dévoile tout, sans prévenir.

Elle était juste une enfant de 7 ans.

Ratatinée, pétrifiée, tétanisée, prostrée.

Il y avait cet homme derrière elle.

Le vieux

Son haleine chargée.

Sa main sur sa nuque.

Sa bouche contre elle.

Son sexe en elle.

L’index sur les lèvres.

—      Chut, c’est notre secret.

Marine fait un pas, se tient la poitrine et vomit.

Et elle retrouve sa lucidité.

Le vieux a réveillé ses fantômes.

L’obstacle invisible.

La peur ensevelie sous les années.

C’est ce putain d’avocat qui lui file les jetons.

Avec son allure inaccessible et méprisante, son visage fermé.

Il lui rappelle le vieux.

Marine vomit une nouvelle fois.

Le poids des Démons.

Le vent se fait soudain plus fort et le sifflement strident des branches la réveille. Puissant antidote.

Elle crie.

Sa haine, sa rage, sa hargne.

Sa peur.

Sa colère.

Elle est folle de violence, fièvre frénétique qui la fait convulser.

La colère qui l’aveugle, la peur qui la fait regarder ailleurs.

Mais c’est bien qu’il faut regarder.

Marine lève les yeux vers les arbres qui remuent, là-haut.

Merci.

Elle rejoint sa voiture.

Se rend chez l’avocat.

Fondateur d’un grand cabinet.

Ancien ministre.

Conférencier à la Faculté de Droit et à Science Po.

Une pointure.

Fumier.

Elle franchit la porte.

Elle, la petite flic de rien, vient siffler la fin de la partie.

—      Vous êtes en état d’arrestation, articule-t-elle d’une voix tranchée, droite, face à son bureau.

L’autre se marre.

—      Rappelez-moi votre nom, déjà ?

—      Capitaine Marine Blanc.

—      Écoutez-moi, Mademoiselle Marine Blanc-Bec, rentrez chez vous et tout ira pour le mieux.

—      Vous êtes en état d’arrestation, répète Marine. Pour violence en bande organisée sur personnes homosexuelles et transgenres.

—      Sortez ! ordonne l’avocat qui se dresse et indique la porte de sa main tendue.

Il repousse son fauteuil et s’approche d’elle.

Ses yeux, lacs noirs terrifiants, déjections de venin torpide, tentent de l’anéantir.

La femme du haut de ses 38 ans, qui se tient debout, qui fait face, qui réconforte la petite fille de 7 ans, terrifiée, souillée, humiliée, écrabouillée.

Plus jamais

Plus jamais ça

Le regard déterminé, qu’elle veut froid et insensible, la posture tendue et ferme, la détermination farouche.

Mais elle le sait.

Elle le sent

En équilibre au bord de la falaise, bousculée par un vent violent, des pierres se détachant sous les pieds, la silhouette vacillante, Marine ne va pas tenir longtemps.

Trois policiers entrent à ce moment dans le bureau.

L’un d’eux, en civil, annonce d’une voix forte :

—      Tu avais raison Marine, c’est bien lui sur les photos. Et les empreintes correspondent, le labo est formel.

Marine recule de quelques pas et reprend son souffle.

Les mains qui lui serraient la gorge se détendent d’un coup.

Il était moins une.

Une bourrasque vient fouetter la vitre de la porte-fenêtre.

Il pleut.

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Matthieu Deshayes

Passionné de cinéma et de littérature, j'écris des histoires depuis toujours. Après 30 années de médecine, j'ai décidé de valoriser cette activité d'écriture et de la pousser plus loin en écrivant des scénarios et en réalisant des courts métrages. L'écriture est l'occasion de partager les thèmes et les idées qui comptent pour moi : la famille, les amis, les relations humaines, la nature et les thèmes qui les accompagnent : les relations parents/enfant, les relations frères/sœurs, les secrets de famille, les positionnements parfois douloureux, les choix impossibles, la défense de notre environnement. Le cinéma est la possibilité fantastique de traduire mes histoires en images, une aventure humaine exigeante et passionnante à travers le travail d'équipe, la rencontre de nombreux métiers différents et complémentaires tous unis dans le but de faire exister un film.

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