Aie confiance, tu vas y arriver…

21 mai 2020

Qu’est-ce que vous entendez?

—           J’ai réfléchi avec ma copine. Elle veut faire un Bac Pro équitation pour devenir Ostéopathe pour chevaux.

C’est une très belle idée.

L’ostéopathie. Pour les animaux.

—           Je voudrais moi aussi faire un Bac Pro.

Ma fille de presque 17 ans.

Désespérée.

—           Jamais je ne pourrais reprendre les cours, c’est trop dur, je vous assure, trop dur.

Nous nous regardons, mon épouse et moi.

Notre fille à qui une psychologue a dit un jour : « tu as les capacités de faire ce tout ce que tu veux, tous les domaines te sont ouverts ». Et qui se retrouve coincée, incapable de suivre une scolarité normale.

—           Je suis trop en colère, je vais tout casser. Je n’en peux plus.

Comment l’accompagner ?

Comment l’aider à passer toutes ces années de fin de lycée et début d’études générales ?

—           Je n’y arriverais pas, je préfère vous le dire. Je ne peux pas faire semblant.

Qu’est-ce qui coince ?

Le manque de sens, le manque de motivation, l’envie de passer rapidement dans la vie active, de pratiquer un métier, de gagner en autonomie.

Envie de quitter la maison et toutes les contraintes liées à la vie de famille, les disputes incessantes, nos exigences.

L’ennui pendant les cours.

Alors elle dessine. Et se fait reprendre parce qu’elle dessine.

La maîtresse de ma fille de CP dessinait aussi en cours. « Impossible d’écouter si je ne dessine pas ».

Ça vous rappelle quelque chose ? La mémoire synesthésique. Apprendre en remuant, en dessinant, la tête en bas, en dansant.

Le prof de physique de ma fille de presque 17 ans l’a pris en grippe l’année dernière. Pour lui, dessiner était un manque de respect. Il n’a jamais pu comprendre. Ils n’ont jamais pu s’entendre. Elle a pris la physique en grippe, n’a plus travaillé.

—           Et toute cette colère, elle est tournée vers quoi ?

—           C’est dès que je lis un article qui me choque. Qui me révolte. La colère emporte tout.

—           Tu ne voudrais pas être journaliste ?

—           Raconter la vie de Michel et Gisèle pendant le confinement ? Non merci.

—           Avocat ?

—           Je ne peux pas imaginer un Homme juger un autre Homme. Au nom de quoi ? De quelles lois ? Celles de gouvernants corrompus qui bousillent la planète avec leur fric face à un pauvre type qui vole une pomme ? Jamais. Chacun se démerde comme il peut dans ce monde pourri.

Qu’est-ce qui la choque ? Contre quoi elle se bat ?

Les violences policières.

Les violences faites aux femmes.

Le patriarcat.

Le male gaze.

Grâce à elle, je découvre les quatre.

Je ne sais pas comment l’aider. Vraiment.

On discute de nos adolescences respectives.

Moi, je faisais du vélo dans la Forêt et je me racontais des histoires, soit seul, soit avec deux copains.

Eux, ce n’est pas pareil.

Et même si j’ai longtemps pensé que mon adolescence avait été naïve, stupidement candide, même si je regarde encore les films où des bandes d’ados sortent ensemble en fumant avec des étoiles d’envie et de regrets dans les yeux, je vois que mon adolescence m’a donné les armes pour avancer dans la vie. De la persévérance, un goût certain pour l’effort, de l’autonomie, la possibilité de me projeter, la capacité de mettre en œuvre un projet, douter sans tout remettre en cause.

Sont-ils armés pour la vie qui les attend ?

Ma fille de presque 17 ans oui, il me semble.

Mes garçons ? Je ne sais pas.

Ma fille de CP ?

Elle est si anxieuse.

On se baladait l’autre jour. Il y avait du vent.

Les arbres bougeaient, les branches bougeaient, le vent frissonnait entre les feuilles.Je m’arrête et je lui demande:

—           Tu entends les arbres qui parlent ?

Elle écoute.

Et me sourit.

—           Oui. Ils me disent : continue ta vie !

—           C’est ça, exactement. Ils me disent la même chose. Aie confiance, tu peux compter sur toi, tu vas y arriver !

On écoute encore.

—           Les arbres ont toujours des paroles bienveillantes. Ils sont doux, donnent confiance. Redonne courage quand on est un peu fatigué, tu comprends ?

—           Oui.

—           Ils seront toujours là pour toi.

Vous avez déjà essayé ?

Je vous en ai déjà parlé, il me semble.

On est tous les trois à la maison ce soir, mon épouse, ma fille de CP et moi. La journée a été estivale. Les grands sont sortis. La maison et le jardin sont calmes.

Que c’est agréable.

Matthieu Deshayes

Passionné de cinéma et de littérature, j'écris des histoires depuis toujours. Après 30 années de médecine, j'ai décidé de valoriser cette activité d'écriture et de la pousser plus loin en écrivant des scénarios et en réalisant des courts métrages. L'écriture est l'occasion de partager les thèmes et les idées qui comptent pour moi : la famille, les amis, les relations humaines, la nature et les thèmes qui les accompagnent : les relations parents/enfant, les relations frères/sœurs, les secrets de famille, les positionnements parfois douloureux, les choix impossibles, la défense de notre environnement. Le cinéma est la possibilité fantastique de traduire mes histoires en images, une aventure humaine exigeante et passionnante à travers le travail d'équipe, la rencontre de nombreux métiers différents et complémentaires tous unis dans le but de faire exister un film.

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