Discussion avec mes fils à propos de diffusion de propos venimeux et incitation pernicieuse à la haine raciale sur les réseaux sociaux

Hier midi, je m’approche de mon fils de 15 ans. Il écoute des commentaires audios.

Comme il est dans le salon, j’imagine ne pas m’immiscer dans sa sphère privée en lui demandant :

—              Tu écoutes quoi ?

Je suis toujours curieux de savoir qu’est-ce qu’il bricole toute la journée penché sur son minuscule écran. Avec qui il discute. Et de quoi.

—              C’est des commentaires qu’a envoyé une copine.

Encore une fois, parce qu’il est dans le salon, lieu commun partagé par tous, je me permets d’aller plus loin.

—              Des commentaires sur quoi ?

—              Un texte écrit par un copain.

—              Tu peux me montrer ?

—              Si tu veux.

Voici le texte — un pur ramassis d’arguments d’extrême-droite, jugez-en vous même :

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Je suis surpris :

—              Tu penses que c’est ton copain qui a écrit ça ?

—              Oui, c’est T.

—              Il a écrit ça comme ça ?

—              Non, c’est une réponse à un autre message.

—              Tu peux me montrer l’autre message.

—              Papa, tu forces là…

—              C’est parce que c’est intéressant.

Je sens que je le saoule. Pourtant, il me montre le message d’origine.

« Deux femmes voilées frappées à coups de couteau près de la tour Eiffel »

—              Et tu penses que ton copain T. a pu répondre ce message en réponse à cette question ?

—              J’en sais rien.

Je lis un peu plus loins : « il ne s’agit en fait que d’une dispute à propos d’un chien laissé en liberté trop près d’enfants qui jouaient dans un parc. »

—              Je ne vois pas très bien le rapport.

—              Laisse tomber Papa…

Je pense à ce texte toute la matinée.

Et, au repas de midi, on en reparle, mon fils de 15 ans, celui de 13 ans et moi.

—              Qu’est-ce que vous avez compris dans le texte de T. ?

—              Qu’il est raciste, dit mon fils de 15 ans.

Je suis vraiment très satisfait. Il ne s’est pas laissé duper.

—              Je suis tout à fait d’accord.

—              De toute manière, T. déteste les arabes et tout ça, précise mon fils de 13 ans.

—              Mais est-ce que vous pensez que c’est lui qui a pu écrire ce texte ?

—              Oui, parce que c’est mal écrit.

—              Peut-être que c’est mal écrit exprès ? je suggère.

Ils ne savent pas.

—              Vous savez ce que c’est un salafiste ?

—              Non.

—              Et un gauchiste ?

—              C’est un truc avec la droite et la gauche.

Ils ne savent pas.

—              Vous croyez que votre copain il sait ce que c’est, lui ?

Je vois qu’ils commencent à douter.

—              Et T., il terminerait son texte par « Vive la France ! » ? Vous en avez des copains  qui disent « vive la France ! » ?

—              Euh, non…

Ils écoutent encore un peu alors je vais un peu plus loin :

—              Pour moi, un texte qui commence par « C’est pas du racisme, c’est juste réaliste ! » est un texte raciste. Dire que ce qu’on écrit n’est pas du racisme, ça veut dire qu’on cherche déjà à se justifier des propos qu’on va développer.

Je continue :

—              Et puis il y a toute cette série de faits qui n’ont rien à voir les uns avec les autres qui sont collés bouts à bouts et finissent par diffuser une idée nauséabonde : parler arabe est un signe ostentatoire de religion, ce sont toujours les arabes qui caillassent la police, et même si certains sont intégrés, les autres doivent choisir entre aimer la France ou la quitter — je dérive mais c’est ce que je perçois derrière ce torchon infâme.

Ils commencent à décrocher, alors je conclue :

—              D’après vous, qui peut être derrière ce texte ?

Ils ne savent pas.

—              L’extrême droite. C’est tout à fait leur manière de distiller des propose venimeux d’incitation à la haine raciale, l’air de rien, par des petites remarques qui semblent de bon sens mais qui fleurent bon le complot : complot des gauchistes, des islamistes, de l’école qui devient un lieu de propagande et de censure sans que n’en soit jamais clarifié l’objet. Et qui termine en défendant la liberté d’expression. Vous savez définir la liberté d’expression dans un sens démocratique et dans le sens d’extrême droite ?

Je les ai perdus.

—              La liberté d’expression au sens noble du terme est de permettre l’expression de tous les opinions. C’est le sens des propos — d’après ce que j’en ai lu — du professeur d’histoire Samuel Paty.

Je me parle à moi tout seul.

—              La liberté d’expression au sens de l’extrême droite, c’est le droit affiché de pouvoir dire n’importe quoi, de pouvoir raconter n’importe quel mensonge, de pouvoir trainer n’importe qui dans la boue, de laisser Eric Zemmour débiter ses insanités ignobles sur les jeunes migrants en les traitants d’assassin et de violeur sur Cnews.

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—              C’est bon Papa, on peut y aller ?

—              « Vive la France » est la signature de l’extrême droite.

—              OK. Allez, salut.

—              Ce texte ne peut pas avoir été écrit par votre copain T. C’est un copié-collé trouvé sur les réseaux sociaux mal écrit exprès pour faire croire à un vrai. C’est typique d’un texte de propagande d’extrême droite.

Ils ont disparu.

Je m’emporte tout seul.

C’est la raison pour laquelle j’écris ce billet ! Pour ne pas parler dans le vide !

Je me demande si mes interventions ont une quelconque utilité auprès d’eux. Si elles sensibilisent au moins un peu mes fils sur l’esprit critique à déployer à propos de tout ce qui touche à internet et aux réseaux sociaux.

Dans la soirée, je fais des recherches rapides sur internet à propose de ce texte. Voir s’il a été repris. Je ne trouve rien. Mais je ne cherche surement pas efficacement.

Je recommence ce matin. Mais pas plus.

Juste ce beau tableau, illustration du racisme, trouvé au détour d’une page virtuelle.

En tout cas, je me demandais si l’assassinat de Samuel Paty interpellait mes fils de 13 et 15 ans et s’il y avait des réactions sur les réseaux. Il semble que oui. Mais de quelle nature ? Et de quelle teneur ?

À suivre…

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Matthieu Deshayes

Passionné de cinéma et de littérature, j'écris des histoires depuis toujours. Après 30 années de médecine, j'ai décidé de valoriser cette activité d'écriture et de la pousser plus loin en écrivant des scénarios et en réalisant des courts métrages. L'écriture est l'occasion de partager les thèmes et les idées qui comptent pour moi : la famille, les amis, les relations humaines, la nature et les thèmes qui les accompagnent : les relations parents/enfant, les relations frères/sœurs, les secrets de famille, les positionnements parfois douloureux, les choix impossibles, la défense de notre environnement. Le cinéma est la possibilité fantastique de traduire mes histoires en images, une aventure humaine exigeante et passionnante à travers le travail d'équipe, la rencontre de nombreux métiers différents et complémentaires tous unis dans le but de faire exister un film.

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