Pourquoi Denver ne nous fait-il pas pleurer ?

Pourquoi Denver ne nous a-t-il pas fait pleurer au moment où son père, Moscou, succombe, après une lente agonie, aux trois balles qui lui ont perforé l’abdomen ?

Pourtant, il est émouvant.

Pourtant, cette relation père-fils est émouvante, un père et un fils se soutenant accrochés l’un l’autre comme à une bouée, ballotés sur le triste océan de la vie.

Un père rustre, aimant son fils de toutes ses forces, le guidant dans la vie du mieux qu’il peut.

Un fils sincère et direct, qui vit sans filet, avec ses rêves et ses espoirs.

Moscou mort pour avoir protégé le retour de Tokyo, femme irresponsable, au moins aussi impulsive que stupide, aussi égoïste qu’inconsciente, aussi bête qu’impatiente, aussi irréfléchie que suspicieuse.

Alors quand Moscou, dans son délire de culpabilité, au moment de faire le bilan de sa vie, confond cette gourde de Tokyo avec la femme qu’il a abandonnée il y a des années, l’histoire bascule dans le pathos grossier. On aurait envie d’y croire. Mais les larmes de Tokyo ne sont que pour elle, femme imbécile qui regarde mourir cet homme à sa place. Les larmes de Tokyo ne coulent que sur son sort à elle, tandis que Moscou lui avait prédit ne laisser que des cadavres dans son sillage.

OK.

J’aimais bien Moscou.

Dommage.

Et je déteste Tokyo.

Je déteste le personnage  de Tokyo.

Parce qu’il est temps que je prenne un peu de recul. Ce n’est qu’une série. Et le personnage de Tokyo est écrit comme ça exprès pour faire de cette femme une garce irresponsable, stupide et impulsive.

C’est ce qu’on appelle la narration dramatique.

Le fait que je ne supporte pas ce personnage montre donc que — pour moi — la série est réussie.

Mais je ne pleure pas à la mort de Moscou, même si Denver fond de toutes les larmes de son corps. Peut-être qu’ils en font trop ?

Ma fille de presque 17 ans me dit qu’on est plein à détester le personnage de Tokyo. Mais que plein d’autres lui pardonnent parce qu’elle est belle.

—           Belle ?

—           Ben oui. Ils sont pleins à la sucer parce qu’elle est belle.

Vous noterez l’élégance de l’expression, ils sont pleins à la sucer.

—           Sexy, d’accord, bien roulée, OK. Mais belle, non. Refaite, mince, sortie tout droit d’un manga, une Lara Croft espagnole à la coupe nippone.

Existe-t-il des groupes de discussion sur « faut-il aimer Tokyo » ? Ou « tu détestes Tokyo, viens nous rejoindre ! »

Quelques minutes plus tard, c’est au Professeur de pleurer en racontant qu’ils impriment des billets et que, se faisant, ils ne volent pas, ils injectent des liquidités dans l’économie réelle, de la même manière que la banque centrale le fait à coups de milliards chaque année. Ce qui achève de retourner l’inspectrice Raquel à qui rien n’est épargnée. Et un long baiser, elle, les bras accrochés au plafond par menottes et chaines et lui portant le flingue — positions qui étaient inversées quelques instants plus tôt, lui attaché par les bras au plafond et elle pointant le flingue.

Ce long baiser qui marche mieux que la mort de Moscou.

On est content qu’ils se rabibochent ces deux-là.

Pourquoi ?

Je n’en sais rien. Parce que ce Professeur, avec ses airs un peu manche, ses grandes lunettes, il est finalement attachant. Et que cette femme flic, se débattant dans la vie, l’est aussi.

Et que ce Denver, même s’il est un peu béta et un peu bulbaire, je l’aime bien. Un garçon simple, authentique, franc. Et son histoire avec Monica me plait bien aussi. On se demande comment cette fille a pu tomber enceinte de cet enfoiré d’Arturo, médiocre petite merde — vous voyez comme je suis pris dans les personnages !

Ce qui me choque en revanche, male gaze à l’état pur, c’est Nairobi qui assiste Moscou mourant, la combinaison ouverte, soutien-gorge apparent. Pourquoi on voit son soutien-gorge ?

Et la discussion des deux filles dans les toilettes, elles aussi en soutien-gorge. Est-ce obligé ? Clairement non.

Ça laisse un goût désagréable.

Il nous reste le dernier épisode de la saison 2.

Sortiront ? Sortiront pas ?

Ma fille de presque 17 ans nous a spoliés, sans le faire exprès, à la fin de la saison une. Mais on tremble pour eux tout de même. Comment ça marche ça, d’être tendu alors qu’on connait la fin ? Le simple fait de ne pas savoir comment ça va se passer ?

Bon, je laisse la Casa de Papel.

Je discute avec ma fille de presque 17 ans en changeant la clanche de la porte — il parait que c’est un terme normand signifiant ‘poignée de porte’ — de la chambre des garçons.

—           Qu’est-ce qu’il existe comme moyen innovant pour communiquer actuellement ?

—           Instagram.

À priori, aucun doute là-dessus.

Instagram.

—           Tu as un compte Instagram ?

—           Non, ça prend trop de temps.

—           Je cherche un moyen d’être innovant. Un moyen de communiquer qui surprend, qui interroge, qui donne envie de suivre.

—           Sûr que ton blog, c’est ringard. Comme les journaux.

—           Ouais. Tant que ça ? Pourtant, sur Instagram, qu’est-ce qu’il y a ? Du contenu, des liens, des vidéos.

—           Oui.

—           Comme sur mon blog.

—           Peut-être. Mais plus personne ne lit.

—           C’est quoi qui se fait ?

—           Des vidéos brutes sur You Tube.

—           ?

—           Des vidéos d’info courtes. Simples, pour que tout le monde comprenne. Courtes, sinon personne ne regarde.

Du court.

De la vidéo.

Contenu simple.

Surtout pas de lecture, de textes longs, de trucs prise-de-tête.

Du facile à consommer.

Du tout cuit.

Du prémaché.

Ça va pas être facile.

Pour eux, je veux dire.

Vers quel type de vie ils s’orientent ?

Pas moyen de prendre un vélo pour aller au lac à moins de 30 minutes.

Pas moyen de se mettre au travail au motif que plus rien n’a de sens et qu’on sera mort dans 10 ans.

Pas moyen de leur demander un service sans disputes, menaces, négociations interminables.

Aucune autonomie, la flemme de tout.

Aucune possibilité de se projeter à plus de quelques minutes.

Pas de patience, pas de projet, pas de notion de persévérance.

Aucune espèce de goût pour l’effort.

C’est le point n°5 du striatum.

Le plaisir procuré par le moindre effort à fournir.

Oui, mais comment ils vont faire ?

Vous savez quoi ? Ils vont se démerder !

Après discussion avec Maman, on trouve des pistes.

Revenir à du concret.

Mettre par écrit ce que chacun fait. Pas pour tenir les comptes mais pour que chacun réalise réellement ce qu’il fait.

Donner des missions à chacun.

Se sentir solidaire des travaux de la maison.

Mais aussi solidaires avec les autres.

Matthieu Deshayes

Passionné de cinéma et de littérature, j'écris des histoires depuis toujours. Après 30 années de médecine, j'ai décidé de valoriser cette activité d'écriture et de la pousser plus loin en écrivant des scénarios et en réalisant des courts métrages. L'écriture est l'occasion de partager les thèmes et les idées qui comptent pour moi : la famille, les amis, les relations humaines, la nature et les thèmes qui les accompagnent : les relations parents/enfant, les relations frères/sœurs, les secrets de famille, les positionnements parfois douloureux, les choix impossibles, la défense de notre environnement. Le cinéma est la possibilité fantastique de traduire mes histoires en images, une aventure humaine exigeante et passionnante à travers le travail d'équipe, la rencontre de nombreux métiers différents et complémentaires tous unis dans le but de faire exister un film.

Cet article a 2 commentaires

  1. Estelle

    Super cet article!! Tellement egocentrée cette Tokyo!

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