
CHAPITRE CINQ : le géant

Le coffre est une antiquité et ne ferme donc pas très bien, laissant une fente qui permet à Lisa et à Tom de respirer.
Fente qui leur permet également de voir ce qu’il se passe à l’extérieur.
Et ce qu’ils aperçoivent ne les rassure guère.
L’homme bizarre est entré dans la pièce accompagné d’un géant, un géant à la peau orangée et aux mains aussi large que des raquettes de tennis.
— Voilà le coffre, dit l’homme bizarre. Emporte-le là où tu sais. Dans la soirée, Elle viendra le chercher comme on a dit.
Le géant grogne.
— Tu as bien compris ? Tu veux que je répète ?
Le géant grogne encore en secouant la tête.
Puis d’un coup, il se saisit du coffre et le prend dans ses bras.

— Quelle force colossale ! murmure Lina, admirative. Tu as vu, il nous soulève comme si on était un sac de plume !
— Quel malheur…, se lamente Tom. Où va-t-on encore se retrouver… Je n’aurais jamais dû t’écouter ni te suivre…
— Arrête de pleurnicher ! C’est l’aventure, la vraie, enfin !
Et le géant emporte le butin, descend les escaliers et, toujours accompagné de l’homme bizarre qui lui répète des conseils de prudence ainsi que mille précautions, sort du château, rejoint une charrette aux allures déglinguées et y dépose le coffre.
— Sois prudent, ne t’arrête pas en route, ne parle à personne, prends le chemin le plus court, ne pense pas à autre chose, ne regarde pas à droite ni à gauche, reste concentré sur ta destination, ne fais pas le fou !
L’homme bizarre noie le géant sous les conseils. À tel point que même Lina commence à en avoir le vertige et a hâte que la charette s’en aille pour ne plus à avoir à l’entendre.
— Hue Bourrique, crie soudain le géant, pressé lui aussi d’en finir.
Et ils démarrent en trombe.

Le géant conduit, comme un pilote de course et Bourrique, sa jument, s’en donne à cœur joie. La charrette vole par-dessus les bosses et les trous, le coffre fait des bonds et des sauts et les enfants sont secoués comme des pruniers.
— Il est fou ! crie doucement Tom, effrayé.
Lina regarde tout ça les yeux brillants.
Le géant ne ralentit pas l’allure.
Il braille gaiement :
— Jolie bouteille, gentille bouteille, veux-tu me laisser me désaltérer le gosier !
Et à coup de glouglouglou et de glouglouglou, il finit par vider sa bouteille.
La charrette zigzague sur le chemin et le coffre fait des cabrioles.
Les deux enfants se cognent aux parois et étouffent des cris
Et puis la charrette freine brutalement.

Le géant, visiblement éméché par le contenu de la bouteille, chante, de plus en plus faux, et se met à danser. Ému et soudain mélancolique, il attrape la jument par le cou et commence une valse avec elle.
Lina éclate de rire et Tom lui lance un coup de coude :
— Chut, tu vas nous faire repérer !
La danse dure un certain temps, suffisamment pour que Lina et Tom imaginent pouvoir sortir discrètement du coffre et fausser compagnie aux danseurs.
Mais au moment de mettre leur plan à exécution, par un retour fulgurant à la raison, le géant remonte sur la charrette et ordonne à Bourrique de repartir. Et elle redémarre à fond de cale, au grand désespoir de Tom.
Le voyage continue. Et les enfants, malmenés, commencent à souffrir des chocs.
Quand le géant arrête à nouveau la charrette, la nuit tombe. Le vent s’est levé et de gros nuages noirs envahissent le ciel. On entend le bruit de la mer et des vagues pas loin.
Un moulin à vent sinistre se dresse devant eux.
Tom se met à claquer des dents.
