Ils m’ont eu…
Au risque de vraiment vous lasser, j’aimerais tout de même
vous raconter ce qui s’est passé hier en fin d’après-midi.
— Les garçons,
supposons que vous sortiez voir vos copains avec vos trottinettes. C’est bien entendu
une simple supposition, une hypothèse qui n’aura jamais lieu. Mais supposons
donc que vous sortiez, est-ce que vous resteriez loin de vos copains ?
— Ben oui bien
sûr, on est pas bête, on a compris.
— Ok. Est-ce
que vous échangeriez vos trottinettes ?
Silence.
— Est-ce que
vous prêteriez la trottinette que vous avez amenée de la maison à un copain ?
— Ben oui.
— Et ensuite,
est-ce que vous rapporteriez la trottinette à la maison ?
— Ben oui.
— Même si
votre copain l’a touchée ?
— Ils sont
pas malades nos copains !
— Comment tu
le sais ?
— Ben ça se
voit.
— Et pourquoi
vous sortez avec vos copains alors que je vous l’ai interdit ?
— On est pas
sorti.
— Vous êtes
pas sorti ?
— Qui te l’a
dit ?
— Peu
importe. Vous êtes sortis ?
— On n’en
peut plus, tu comprends ? On n’en peut plus !
— Mais si je
comprends…
— Toi aussi,
tu étais dehors !
Eh oui, moi aussi j’étais dehors.
Profitant de cette belle fin de journée pour aller me
balader avec mon épouse et mon chien.
Mon chien qui tourne en rond et commence à creuser des
galeries dans le jardin. Bientôt, on va pouvoir vivre sous terre.
— Je sais, j’étais
dehors.
Je réfléchis.
— On t’a
proposé de venir avec nous.
— Mais c’est
pas avec vous qu’on a envie d’être. Vous, on vous voit toute la journée. On a
envie d’être avec nos potes ! Avec nos potes !
— Je
comprends. Je comprends très bien.
— Tu ne
comprends rien du tout. Tu t’en fiches de tes potes !
Je m’en fiche de mes potes ?
— Pas
du tout. On s’appelle, on fait des visios, des skypes.
— C’est
pas pareil.
— Non,
ce n’est pas pareil. Mais c’est déjà pas mal.
— Laisse-tomber,
j’en ai marre.
— Je
ne vous empêche pas de sortir, je vous empêche de voir vos copains. Parce qu’on
essaie collectivement de lutter contre la propagation du virus. Et qu’en voyant
tes amis, tu risques de transmettre le virus.
— Je
veux voir mes potes.
— Tu
ne peux pas.
— Pourquoi ?
— Parce
que.
— Parce
que quoi ? C’est pas ma faute si on réduit le nombre de lit en réanimation
depuis 20 ans malgré les appels au secours des professionnels de santé, ce n’est
pas ma faute si on transforme le système de soin en industrie du soin, pas ma
faute si les gouvernements successifs n’ont jamais imaginé une probable
épidémie issue des conditions ignobles d’élevage des animaux, pas ma faute s’ils
ont bazardé toute la réserve de masque constituée après la menace H1N1 que tout
le monde a oubliée – mettant en danger des milliers de soignants, pas ma faute
si les hautes autorités n’ont pas remarqué que les Coréens et les Chinois avaient
développé des millions de kits pour organiser un dépistage massif au sein de
leur population et que nous n’avons – nous, Français, champions du monde de la
connerie, rien fait, nous contentant de ricaner bêtement sur les tribulations
de ces imbéciles de fourmis chinoises, pas ma faute s’ils n’ont pas d’autres
moyens pour sauver leurs fesses que de déclarer la guerre et de confiner leur
population docile et soumise à une mesure démente, pas ma faute si personne n’a
les couilles de leur rentrer dans le lard, à ces incompétents qui se prennent
pour des chefs de guerre, mais qui n’obéissent qu’aux ordres du CAC40 et à
leurs propres intérêts, aux ordres de tous les prédateurs de notre pauvre
planète, pas ma faute si la planète se venge en tentant de se débarrasser de
cette humanité stupide, cupide, aveugle et méchante. C’est ça en fait. La terre
lutte contre cette épidémie d’hommes et de femmes qui se répand sur toute sa
surface, la souille, la détruit, la gâche. Elle lutte contre le cancer qu’est
cette saleté d’humanité.
Bon, mon fils n’a pas dit ça
exactement comme ça.
Il a résumé par un simple :
— J’en
ai rien a foutre de votre virus.
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