Petit manuel de mauvaise foi (2)

18 mars 2020, 22h30

–             Papa, je peux te demander quelque chose ?

Ma fille de presque 17 ans. Il est 15h00.

–             Dis toujours.

–             Y’a les parents de mes copines qui leur ont laissé l’autorisation de sortir avec un masque.

–             Sortir où ?

–             En ville.

–             Je ne suis pas certain de comprendre : tes copines mettent un masque et se donnent rendez-vous en ville ? C’est bien ça ?

–             Oui.

–             Et tu veux mettre un masque toi aussi et les rejoindre ?

–             Y’en a plein qui sortent. C’est pas si grave si on reste à deux mètres et qu’on porte un masque et qu’on ne se touche pas.

Bigre.

–             Et elles y vont comment en ville, tes copines ?

–             Je ne sais pas.

–             Et où vous trouvez des masques ?

–             Je ne sais pas.

–             Mais vous vivez sur quelle planète ? Qu’est-ce que vous ne comprenez pas ?

–             Il y a plein de vidéos avec des gens qui sortent.

C’est mon fils de 13 ans qui vient en rajouter.

–             Regarde les vidéos.

Vidéos de gens qui se baladent.

Vidéos des cités où tout le monde est dehors.

Photos de queue chez les dealers.

–             T’as vu ?

–             C’est dingue, j’ai les bras qui me tombent.

–             Sortir, c’est la meilleure façon de faire des vues.

–             Et vous en pensez quoi ?

–             Bof.

Donc Bof. Ça va être long. Très long.

20h30.

–             Papa, j’ai une idée, dis oui, s’il te plait.

Ma fille de presque 17 ans.

Elle revient à l’attaque ?

Non, mieux.

–             Est-ce que je peux aller m’installer chez ma copine. Comme ça, je fais mon confinement chez elle. Et ça sera moins long !

–             Non, pas question.

–             Mais pourquoi ?

–             Parce que je veux te garder avec moi.

–             Papaaaaaa….

–             Tu ne saisis pas la situation ?

–             Mais c’est pareil que je sois ici où là-bas.

–             Non, justement, ce n’est pas pareil.

–             Alors, vas-y, dis-moi ce qui n’est pas pareil ? Je te jure que je ne sortirai pas. J’en peux plus d’être ici, tu ne comprends pas ? Ils viennent de dire à la télé que le confinement va durer 1 mois. Moi, enfermée ici pendant 1 mois, je deviens folle.

–             Parce que tu crois que tu vas supporter ta copine pendant 1 mois.

–             Je reviendrais quand j’en aurais marre.

Ben voyons.

–             Et si tu pars, ton frère va vouloir aller chez son copain. Ton autre frère aussi. Et comme on ne sera plus que trois à la maison, la copine de ta petite sœur va venir habiter chez nous. Puis tu vas revenir. Et ton frère aussi, avec son copain. La copine de ta sœur va repartir. Et puis c’est autre de tes copines qui va venir. Puis tu iras chez une autre. Et ainsi de suite.

–             T’es vraiment pas drôle, tu vois toujours tout de travers.

En attendant ma cocotte, tu restes sagement à la maison.

Matthieu Deshayes

Passionné de cinéma et de littérature, j'écris des histoires depuis toujours. Après 30 années de médecine, j'ai décidé de valoriser cette activité d'écriture et de la pousser plus loin en écrivant des scénarios et en réalisant des courts métrages. L'écriture est l'occasion de partager les thèmes et les idées qui comptent pour moi : la famille, les amis, les relations humaines, la nature et les thèmes qui les accompagnent : les relations parents/enfant, les relations frères/sœurs, les secrets de famille, les positionnements parfois douloureux, les choix impossibles, la défense de notre environnement. Le cinéma est la possibilité fantastique de traduire mes histoires en images, une aventure humaine exigeante et passionnante à travers le travail d'équipe, la rencontre de nombreux métiers différents et complémentaires tous unis dans le but de faire exister un film.

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