Question d’instinct

18 avril

J-23 avant le 11 mai – il n’y a que les honnêtes gens – ceux qui n’ont rien à se reprocher – pour imaginer que nos gouvernants sont devenus des devins, et qu’ils ne se fient qu’à leur instinct, j’y reviendrai plus tard.

Hier.

Cette fois-ci, je n’ai pas loupé l’heure pour enregistrer l’école à la maison.

La veille, ma fille de CP n’a cessé de jouer à l’école, refaisant ses trousses, se baladant dans la maison avec son cartable, relisant ses cahiers. Au point où mon épouse m’a glissé :

—               Peut-être que vous devriez vous préparer à aller à l’école à la maison comme quand tu l’amenais à l’école le matin.

—               Bonne idée.

Mais que j’oublie malheureusement aussitôt.

Ma fille descend sur la pointe des pieds de sa chambre.

Elle passe dire bonjour au chien avant de venir me voir.

Prémices d’une prise de distance ? D’un début d’autonomisation ? Instinct de protection contre ce qui va lui tomber dessus à peine elle m’aura dit :

—               Bonjour Papa !

La notion d’instinct est de retour. Mais patience, ce n’est pas encore le moment.

Ma fille s’approche de moi en souriant :

—               La petite souris a encore oublié de passer !

Merde, la petite souris ! La dent tombée il y a deux jours !

—               Elle est coquine, cette petite souris. Elle est sûrement confinée elle aussi !

—               Je sais que c’est toi…

—               Ah certainement pas, si c’était moi la petite souris, jamais je n’oublierais !

—               Justement, celui qui oublie tout, c’est toi.

Bigre, je suis démasqué !

Deux parties de Mille Bornes plus tard, toutes les deux gagnées par ma fille — dont une partie avec les 4 bottes, plaisir suprême ! —, le petit déjeuner avalé, nous voici installés devant François qui, en ce dernier jour de la semaine, nous propose des révisions de lecture.

Intéressant. Comment va-t-il s’y prendre ?

Il fait relire aux enfants un texte du début de semaine, assez ardu, il me semble. Chaque phrase est de couleur différente. Il laisse 60 secondes aux enfants, donne le top de début et celui de fin et chacun regarde la couleur de la phrase où il est parvenu. Ils peuvent ainsi déterminer la couleur de leur ceinture de lecture qui correspond à la dernière phrase terminée.

Ma fille bloque sur splendides.

—               Ceinture orange de lecture ! Bravo.

François promet une progression fulgurante de la lecture grâce à un tas de petits exercices.

Il reprend en détail la quasi-totalité des mots, les épelle, les lit, les relit, le re-relit.

Ma fille regarde surtout le plafond.

—               Concentre-toi, ça va te servir pour passer ta ceinture de lecture !

Elle se tortille, lit la tête en bas.

Je vous ai parlé de mémoire synesthésique.

Mais là, j’ai une autre impression (sans encore parler d’instinct, le moment n’est toujours pas arrivé, patience !)

J’ai une impression de douleur, de difficulté douloureuse et inconfortable.

Comme si l’assemblage des lettres, des sons, des syllabes se faisait dans un effort pénible, cuisant, algique, cruel, poignant, saignant.

Je connais bien cette sensation : utilise quotidiennement un clavier d’ordinateur depuis 25 ans et je ne suis pas encore foutu d’écrire sans regarder mes doigts. J’ai essayé des tas de logiciels, méthodes, etc. Le conseil est : à partir du moment où vous décidez d’écrire sans regarder le clavier, interdit de quitter l’écran des yeux Allez, top !

Impossible.

Trop douloureux.

Je sens la tension qui me crispe les doigts, des sensations pénibles et désagréables me courir le long des avant-bras et des bras, mes épaules se raidir, ma nuque se bloquer et la perception de cette douleur me ronger la tête et m’étourdir. La décomposition des mots en lettres puis retrouver de mémoire où sont disposées ces foutues lettres sur le clavier, me tromper sans cesse, perdre du temps, m’éverver parce que mes idées défilent et qu’il me faut les capter en temps réel. Trop dur, trop éprouvant, trop pénible.

J’abandonne.

À chaque fois, épuisé, tremblant.

Et je retrouve mon clavier soulagé, et les mots reprennent leur fluidité et s’envolent à nouveau, mes yeux bêtement fixés sur mes doigts…

Je vous parle de mon permis de conduire ? Impossible de coordonner le passage des vitesses, les pédales et regarder la route. Mêmes sensations horribles.

Arriver à bout de la maîtrise de la manette PS4 de mes fils. Cauchemar identique. Alors qu’ils sont capables de 400 mouvements différents en 1 minute, j’arrive péniblement à en faire 2.

Alors je vois ma fille qui lutte, qui bloque, qui inverse les lettres, qui les confond et je ressens cette douleur.

Une seule solution, laisser l’instinct de côté (patience !) et s’entraîner. S’entraîner jusqu’à ce que ça rentre.

Et dans mon cas, je le sais, il se passe soudain un clic dans ma tête et hop, la coordination est établie. Et miracle, ça marche tout seul. Et voilà, le cap est passé, génial.

Ce processus s’appelle l’automatisation des tâches. Elle consiste à automatiser un maximum de fonctions afin qu’elles prennent le moins de place et le moins d’énergie possible dans le fonctionnement quotidien. C’est la clef. Mais cela demande un effort préalable.

François est mignon et très poétique.

Ses textes d’exercices me font rêver et m’emportent au loin dans des histoires sensuelles et magiques.

Ma fille a l’air moins sensible que moi.

Bon, en tout cas, le moment fatidique approche, François repropose le texte initial afin de constater les progrès que chacun a forcément fait avec tous ces exercices. Attention top !

Aïe, aïe, aïe, ma fille bloque sur Cyril, qu’on a pourtant travaillé. Et puis sur vacances. Et finalement échoue à nouveau sur splendides. Mince…

La mine réjouie, François se frotte les mains :

—               Alors, tu as gagné une nouvelle ceinture ? Tu es content ? Tu as lu plus de mots ? Bravo !

Euh, et pour ceux qui n’ont pas réussi ?

Pas une parole.

Ma fille ne dit rien.

—               Ce n’est pas grave, tu as bien travaillé, tu t’es accrochée pour faire tous les exercices, moi je trouve que tu as bien progressé.

Heureusement, François enchaine sur l’écriture. Là, je sens ma fille plus à l’aise. Et même si elle n’écrit pas sur son cahier, préférant son ardoise magique, elle se débrouille bien. Même pour la dictée, assez difficile il me semble.

Le hibou hulule la nuit dans le citronnier.

Discussion ce matin avec mon épouse, avant qu’elle se rende à l’hôpital :

—               J’ai envie de lui faire faire un peu de math ce matin.

—               C’est le week-end.

—               Oui, mais elle a du mal en calcul.

—               Peut-être se serait bien de la faire lire.

Bonne idée.

Je vais la faire lire.

Même si c’est pénible, c’est lui rendre service de l’entraîner.

Et elle a plein de livre avec des histoires chouettes. Pour s’entrainer ludiquement.

Pour qu’elle sente que la lecture est un plaisir, pas une corvée.

Pas comme mes deux fils.

D’ailleurs, ils en sont où dans leurs lectures ?

—               J’en suis à page 15, me dit mon fils de 15 ans.

Page 15 depuis 3 jours…

—               C’est mort, je ne lirai jamais ! dit mon fils de 13 ans.

Mon instinct me dit que… et qu’est-ce qu’il me dit, au juste, mon instinct ? Qu’on a loupé quelque chose ? Qu’on est trop permissifs ? Trop sévères ? Qu’on a tout foiré ? Qu’on est nuls ?

Parce qu’en parlant d’instinct — ça y’est, c’est le moment ! —, y a un qui fait fort !

https://tracts.gallimard.fr/fr/pages/tracts-de-crise

Donald Trump se prend pour John Wayne dans Rio Grande, l’homme seul, guidé par son incroyable instinct, contre l’avis de toute la ville.

La force, l’instinct et le bon sens.

L’anti-intellectualisme est un pilier des dirigeants américains, du KluKluxKlan en 1926, en passant par Eisenhower en 1954 et sa présidence virile, Ronald Reagan, Georges W Bush et maintenant Trump. Appuyé sur la vision revivaliste des évangélistes du XIX pour qui l’ignorance est une vertu. L’instinct et l’anti-intellectualisme pour le salut de l’âme et de la nation. La culture, le savoir et la réflexion éloignent du Christ comme de l’action virile. (sic)

Mais parfois l’ignorance se fracasse sur le réel : Spoutnick a provoqué une onde de choc aux USA le 4 octobre 1957, obligeant le même Eisenhower à investir massivement dans la recherche.

Le covid provoque ce même état de sidération.

Mais pas encore le même effet, Trump ne s’en remettant qu’à son propre instinct pour les décisions à prendre.

God bless America !

Pour finir sur une note joyeuse, voici en avant-première LINA et TOM, les héros de l’histoire HORREUR AU CHATEAU que nous avons imaginé avec ma fille de CP, qui est en cours de rédaction et d’illustration et dont nous allons pouvoir vous proposer le premier chapitre très prochainement !

Bonne journée à toutes et à tous.

Matthieu Deshayes

Passionné de cinéma et de littérature, j'écris des histoires depuis toujours. Après 30 années de médecine, j'ai décidé de valoriser cette activité d'écriture et de la pousser plus loin en écrivant des scénarios et en réalisant des courts métrages. L'écriture est l'occasion de partager les thèmes et les idées qui comptent pour moi : la famille, les amis, les relations humaines, la nature et les thèmes qui les accompagnent : les relations parents/enfant, les relations frères/sœurs, les secrets de famille, les positionnements parfois douloureux, les choix impossibles, la défense de notre environnement. Le cinéma est la possibilité fantastique de traduire mes histoires en images, une aventure humaine exigeante et passionnante à travers le travail d'équipe, la rencontre de nombreux métiers différents et complémentaires tous unis dans le but de faire exister un film.

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