À Dieu va !

Quelle est la bonne technique pour réveiller des ados décalés qui dorment le jour et vivent la nuit ?

J’ai essayé plusieurs méthodes et je vais tacher de vous en donner les résultats.

1—la méthode sympathique

À part le fait qu’elle soit sympathique, elle ne mène à rien.

—              Hello les enfants, c’est l’heure de se lever !

—              On non, pas déjà.

Ils se retournent et se rendorment.

2—la méthode rigolote

—              Hello les kids, debout, c’est l’heure de l’école à la maison ! L’heure des devoirs !

Et je me jette sur eux, chatouilles, guiliguilis, petite chanson dans les oreilles, gratouilles dans le cou, titilles sur la plante des pieds, rigolades.

—              Papa, laisse-moi, t’es relou, arrête !

Et ça gigotte et ça se débat et ça crie, proteste, râle, se plaint, supplie, se lamente.

Et ils se retournent et se rendorment à peine je cesse.

Échec.

3—la méthode idiote

—              Salut les enfants !

Et vlan, une bassine de flotte glacée sur la tronche.

Au moins ça les laverait, me direz-vous ?

Eh bien figurez-vous que l’image de l’ado allergique à l’eau et au savon et qui pue la transpiration a fait long feu. Un ado 2020 est propre comme un sou neuf, rasé, épilé, luisant de gel et de déo. Et notre pauvre planète les conjure désormais de limiter les douches à mille litres chacune.

Je n’ai pas essayé.

4—la méthode personnalisée

Pour ma fille de presque 17 ans, je m’assois sur le bord de son lit et lui pose quelques questions.

—              Coucou, ça va ? Qu’est-ce que tu as fait cette nuit ? Tu as dessiné ?

—              Comment vont tes copines ?

—              Tu t’en es sortie avec ton devoir d’Histoire ? C’était sur quoi ?

Sur la Grande dépression et la Belle Époque entre 1873 et 1911.

Très intéressant. La société essentiellement agricole, qui cultive son petit lopin de terre et maîtrise donc la chaine de production de son alimentation invente le concept de spécialisation des tâches, ou comment ne pas tous faire la même chose, mais s’occuper chacun d’un morceau de la chaîne. D’où meilleure rentabilité, mais perte du contrôle de la chaine à l’échelon individuel.

Ceci est mon interprétation personnelle de cette période et n’implique que moi.

Mais nous discutons tous les deux des débuts de l’industrialisation, des fondements de la mondialisation et l’origine de la crise sanitaire que nous vivons avec la délocalisation massive de tous les produits et services dont nous manquons cruellement aujourd’hui pour assurer notre fonctionnement et notre sécurité.

Le but est de la faire parler suffisamment pour ne lui éviter de se rendormir, de la stimuler suffisamment pour réveiller ses centres nerveux, de l’intéresser et de l’impliquer suffisamment pour la tirer hors du brouillard qui plane encore dans son esprit. C’est la méthode qui fonctionne le mieux et qui est la plus agréable. Pas la plus rapide, mais la plus conviviale.

Pour ma fille de CP, câlins, chansons, histoire, guili, ça marche à fond.

Pour les garçons ?

—              Tu sais Papa, je vais t’expliquer la méthode la plus efficace pour nous réveiller le matin. Tu viens nous voir avec des tartines grillées et beurrées !

Et pourquoi pas ?

Le confinement prend des allures insoupçonnées…

—              Papa, ils ont annulé le BAC ! annonce ma fille de presque 17 ans au moment de passer à table ce midi.

—              Et le Brevet, ajoute mon fils de 15 ans.

Ça leur fait un choc.

Ma fille semble ébranlée. Ce bac dont elle entend parler depuis qu’elle est née. Il disparait, englouti dans les affres du Covid-19. Elle n’en revient pas. Comme si elle réalisait brutalement la réalité de la pandémie, comme si elle était touchée concrètement personnellement pour la première fois depuis le début de la crise.

Mon fils de 15 ans ? Pas du tout.

Il est tout sourire.

Trop content.

—              Allez, blah ! Fuck le Brevet !

—              C’est dingue…

Et là, au milieu de la discussion, la petite voix de ma fille de CP :

—              Est-ce que vous savez qu’est qui y a derrière l’univers ?

Blanc.

Mon fils de 13ans :

—              Ben, derrière l’univers, il y a l’univers !

Ma fille de presque 17 ans :

—              Il n’y a rien. C’est l’infini. L’univers est en perpétuelle extension.

Pas certain qu’elle comprenne les explications des aînés.

Et mon fils de 15 ans ?

—              Qu’est-ce qui y a après l’univers ? Vous voulez savoir ? Je m’en bats les couilles !

Je me disais…

En tout cas, là, ma fille de CP comprend…

—              Bon, en tout cas, les devoirs que vous rendrez seront importants pour le 3è trimestre.

—              T’inquiète Papa, me dit mon fils de 15 ans en remontant dans sa chambre.

La saison 4 de la Case de Papel vient de commencer…

On n’y peut plus rien.

Les vacances commencent ce soir.

À Dieu va !

Matthieu Deshayes

Passionné de cinéma et de littérature, j'écris des histoires depuis toujours. Après 30 années de médecine, j'ai décidé de valoriser cette activité d'écriture et de la pousser plus loin en écrivant des scénarios et en réalisant des courts métrages. L'écriture est l'occasion de partager les thèmes et les idées qui comptent pour moi : la famille, les amis, les relations humaines, la nature et les thèmes qui les accompagnent : les relations parents/enfant, les relations frères/sœurs, les secrets de famille, les positionnements parfois douloureux, les choix impossibles, la défense de notre environnement. Le cinéma est la possibilité fantastique de traduire mes histoires en images, une aventure humaine exigeante et passionnante à travers le travail d'équipe, la rencontre de nombreux métiers différents et complémentaires tous unis dans le but de faire exister un film.

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