Ratatouille sauve le monde

21 avril, J-20 avant le déconfinement qui n’aura pas lieu

« Bonjour, Christine, je ne sais pas ce qui se passe aujourd’hui, mais rien ne va !

J’ai mal dormi, j’ai mal au ventre, j’ai mal à la gorge.

Et je ne sais pas pourquoi.

Il pleut depuis deux jours, c’est bon pour la terre et la nature, mais c’est long et ça ne me donne pas trop de courage.

Je n’arrive pas à lire, je n’arrive pas à écrire, tout m’énerve ce matin.

Je prends un sachet de Doliprane, mais ça ne va pas mieux.

Je n’ai vraiment pas envie.

Papa m’encourage, s’impatiente aussi un peu et me propose une partie de Mille Bornes. Que je gagne même s’il a la botte « véhicule prioritaire » !

Ce n’est pas facile de s’y remettre.

Il y a un boucan d’enfer dans la chambre des garçons, ça me déconcentre.

Comment on va faire ?

Je m’accroche.

—               J’ai mal à la gorge.

—               Tu as mal au pharynx, on a vu ce mot hier.

—               Arrête, c’est pas drôle. »

Qu’est-ce que vous pensez de tout ça, Christine ?

Vous avez l’air sereine, vous proposez de cueillir du thym dans le jardin.

Nous, on n’y est pas.

Le jardin est détrempé, il y a du thym dans la campagne, il est en fleur.

—               J’aime pas ma vie, se lamente ma fille.

Pour un peu, on la plaindrait, cette pauvre petite !

Ma cousine de Singapour vient de nous envoyer un message par Whatsapp nous informant que le gouvernement imposait un lock-down jusqu’au 1er juin. Ça rétropédale sec en Asie. J’ai lu qu’ils craignaient une seconde vague de contamination…

12h15, le bruit s’intensifie chez les garçons.
Rien du côté de ma fille de presque 17 ans.

Christine, elle, ne se lamente pas. Elle continue :

—               Écrivez le mot ‘thym’.

—               J’ai pas envie.

La dictée maintenant : « Le daim mange le thym dans le jardin. »

—               ‘jardin’ vous l’avez travaillé avec Mathias.

Mathias ?

Mince, nous on l’appelle François !

J’ai lu ce matin des posts sur tweeter à propose des violences policières dans les banlieues de

J’ai lu aussi que Macron s’apprêtait à aider nos grandes entreprises sans aucune contrepartie ( contrairement au Danemark et à la Pologne qui eux, n’aideront que les entreprises qui n’ont pas versé de dividendes, n’ont pas racheté leurs actions et n’ont pas d’activité dans un paradis fiscal — je ne sais pas si c’est possible comme engagement, mais l’intention y est.) Macron se contente de tenir pour préserver le vieux monde. Pas d’ambition de changement dans les actes. C’est malheureusement l’habitude de ces gens-là…

Bon, c’est vraiment trop dur aujourd’hui… on arrête après la dictée.

On fait ce qu’on peut.

Pas de nouvelle de la maîtresse.

On a des copains dont les enfants croulent sous le travail à faire.

Nous, mon épouse et moi, on fouille l’ENT de fond en comble pour dénicher de pauvres devoirs par-ci, par-là. Mais quelle lutte. Pas étonnant que les garçons – la tronche enfarinée – nous serinent qu’ils n’ont rien à faire.

On ne peut pas faire plus compliqué comme système pour démotiver les élèves. Il y a des devoirs dans la messagerie, d’autres dans l’accueil, d’autres sur Pronote, d’autres planqués dans certains cours du cahier de textes, mais pas tous, les profs qui ajoutent des devoirs à 12h15, quel merdier. Après, il faut leur répondre, certains sur l’ENT et pas par mail, d’autres par mail, mais pas par Pronote, d’autres sur tel mail et pas sur la messagerie, oh les frérots, ça vous dit pas de vous mettre d’accord ? Je veux bien faire un effort, mais là, vous poussez grave !

Allez, je monte faire l’état des lieux là-haut.

Ma fille dort.

—               Qu’est-ce qui s’est passé cette nuit ? je lui demande, curieux.

—               Laisse-moi.

OK.

Chez les garçons ?

Ils regardent Ratatouille.

Ils se sont inscrit sur la semaine d’essai de Disney +.

—               Y a tout !

Ouais, qui c’est qui paye ?

—               C’est gratuit pendant une semaine, on te dit, fais nous confiance !

!!!

Un pot de Pâte à tartiner bio ouvert et sacrément entamé est posé sur la PS4. Chacun sa bouteille de Coca. Bigre. Il s’est passé des choses ici cette nuit !

—               Vous avez ouvert l’ENT ? Vous avez regardé ce que vous aviez à faire pour la journée ?

—               Tu vas pas nous parler de travail au réveil !

—               Au réveil ? Il y a bientôt 2 heures que je suis monté vous réveiller.

Je jette un oeil.

Tiens, le prof de techno vient de poster une vidéo.

« Salut les élèves, voici une vidéo, c’est plus simple, on peut dire plus de choses. »

—               T’as vu cette vidéo ?

—               T’inquiète.

T’inquiète.

Ma fille de CP vient de les rejoindre devant Ratatouille.

Allez, moi je redescends prendre ma pause. Au calme, tranquille, loin de tout ça.

Advienne ce qui pourra.

Matthieu Deshayes

Passionné de cinéma et de littérature, j'écris des histoires depuis toujours. Après 30 années de médecine, j'ai décidé de valoriser cette activité d'écriture et de la pousser plus loin en écrivant des scénarios et en réalisant des courts métrages. L'écriture est l'occasion de partager les thèmes et les idées qui comptent pour moi : la famille, les amis, les relations humaines, la nature et les thèmes qui les accompagnent : les relations parents/enfant, les relations frères/sœurs, les secrets de famille, les positionnements parfois douloureux, les choix impossibles, la défense de notre environnement. Le cinéma est la possibilité fantastique de traduire mes histoires en images, une aventure humaine exigeante et passionnante à travers le travail d'équipe, la rencontre de nombreux métiers différents et complémentaires tous unis dans le but de faire exister un film.

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